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Obtention d'une AMM : quel impact espérer sur le cours de bourse ?

Lionel Labourdette, PhD - Analyste Financier

L’annonce par Genfit le 10/06 de l’approbation par la FDA d’Elafibranor dans la PBC a laissé un goût amer aux investisseurs (tant professionnels que particuliers), le titre ne s’étant pas apprécié comme espéré (+12% en séance) et clôturant à un niveau inchangé (+0,3%).

En toute logique, cette annonce devait induire une revalorisation du titre dont l’un des projets phares s’affranchissait désormais des risques cliniques (échec) et réglementaires (possible refus d’approbation). En dépit d’une capitalisation boursière faible, le marché n’a pas réagi comme espéré. Se posent alors des questions légitimes sur cette absence de réaction.

Nous avons donc cherché, au travers d’une analyse fine, à comprendre les raisons de cette « contre-performance ».


Un tour d’horizon (France, Europe et Etats-Unis) nous a montré que le cas de Genfit n’est pas isolé. Sur la base de ces observations, quelques enseignements peuvent être tirés pour gérer au mieux un investissement dans des sociétés Biotech qui arrivent à l’étape cruciale d’une AMM.


1. Cas Genfit

 

1.1   Contexte


- La PBC : la Cholangite Biliaire Primaire est une maladie inflammatoire chronique des petites voies biliaires intrahépatiques (pathologie probablement multifactorielle). A ce jour, l’offre thérapeutique est insuffisante. La prise en charge par l'acide ursodésoxycholique (UDA) n’apporte pas de réponse durable et Ocaliva, un agoniste du récepteur farnesoïde X (acide obéticholique), était le seul traitement approuvé. Ocaliva pêche néanmoins par une une efficacité limitée mais induit surtout des effets secondaires très gênants qui limitent sa prescription.


- Elafibranor : Genfit développe Elafibranor depuis de très nombreuses années. Il s'agit d'un agoniste des récepteurs activés par les proliférateurs de peroxysomes (PPAR α/δ). Ce candidat médicament a montré des bénéfices thérapeutiques dans la sphère hépatique. Si Elafibranor a échoué en phase III dans la NASH, les études menées chez des patients souffrant de PBC ont mis en évidence une évolution favorable de certains marqueurs biologiques (baisse significative du taux de Phosphatase Alcaline (ALP) et une amélioration des symptômes chez ces patients. Le programme clinique a été couronné de succès avec l’approbation par la FDA le 10 juin dernier du produit. Elafibranor a par ailleurs fait l’objet d’un accord stratégique avec Ipsen qui en assurera la commercialisation aux Etats-Unis sous la marque Iquirvo puis en Europe (après approbation par l’EMA).


- Potentiel commercial et concurrence : Selon diverses anticipations et les déclarations d’Ipsen, le pic des ventes annuelles d’Elafibranor pourrait être proche de 500 MEUR (pour un marché estimé à 1,5 MdEUR). Si Ocaliva représentait jusque-là l’unique proposition alternative à l’UDA, Elafibranor devra faire face à une concurrence probable du Seladelpar développé par Cymabay (récemment acquis par Gilead pour 4,8 MdUSD). La décision de la FDA pour l’approbation de Seladelpar est attendue le 14/08 prochain. Sur le plan clinique, après 12 mois de traitement, Seladelpar induit une baisse significative du taux d’ALP chez un nombre élevé de patients (62 % contre 51% pour Elafibranor). Un réel débat existe sur la performance réelle des deux produits en raison d’un effet placebo important observé dans les études de Seladelpar (20% contre 4% pour Elafibranor). Les données à 18 ou 24 mois pour Seladelpar ne sont pas clairement diffusées par Gilead. En résumé, si les bénéfices thérapeutiques sont objectivement proches, la survenue d’effets secondaires associés à la prise du traitement sera l’un des points clés de la guerre commerciale à venir entre les deux produits (prurit notamment). Ipsen dispose d’un court délai pour lancer Iquirvo et devrait affronter très rapidement la concurrence de Gilead, une biopharma américaine de premier plan (pour mémoire Gilead avait connu un succès phénoménal avec son Solvadi pour le traitement de l’hépatite C).

 

1.2 Réaction boursière suite à l’annonce de l’AMM d’Iquirvo


La décision de la FDA fut rendue publique le 10/06 après la clôture des marchés US (22h00 à Paris). Ipsen et Genfit ont diffusé un communiqué de presse le soir même. Le 11/06 au matin, la communauté financière (professionnels et particuliers) était donc informée de cette bonne nouvelle. Les analystes financiers ont eu le temps d’écrire sur cette news et de réviser le cas échéant leur modèle de valorisation et/ou leur objectif de cours. Avant l’ouverture, l’excitation sur les forums boursiers était palpable.

A l’ouverture, le titre progressait de +11,8%, touchant quelques minutes plus tard le plus haut du jour à 5,49 EUR (+12%) avant de connaître un flux vendeur important et accuser un net repli sur 4,70 (-4,3%). Le titre a ensuite rebondi légèrement pour revenir autour de 5,10 (+4,0%) avant de connaître une fin de séance sans orientation claire et clôturer à 4,915 (+0,3%). Sur le Nasdaq, le titre a ouvert d’emblée en repli (-1,2%) pour clôturer sur une baisse sensible à 5,17 USD (-6,6%).


Evolution du cours de bourse à Paris de Genfit le 11/06/2024

Source : Euronext, Biomed Impact



1.3 Une AMM représente indubitablement un palier de création de valeur


Valoriser une société de biotechnologie est un exercice complexe. La modélisation de la valeur d’un candidat médicament combine divers paramètres qui évoluent en fonction du stade d’avancement du programme clinique.


- Probabilité de succès : 100% à l’obtention AMM

L’un de ces paramètres clés de la modélisation est la probabilité de mise sur le marché (ou probabilité de succès). A chaque étape de validation clinique (succès et passage à la phase suivante), la probabilité augmente pour atteindre 100% à l’obtention de l’AMM. Diverses études ont cherché à définir des valeurs réalistes de probabilité de succès en fonction de l’état d’avancement (Préclinique, Phase I, Phase II, Phase III). Des fourchettes sont communément acceptées par les investisseurs. Concernant un produit entrant dans la phase réglementaire, une valeur réaliste de 85% de probabilité de succès pouvait être appliquée à un modèle de valorisation d’Elafibranor. En obtenant l’AMM, le projet aurait donc dû s’apprécier a minima de 15% (passage de la probabilité de succès de 85% à 100%).


Evolution de la probabilité de succès en fonction du stade de développement

Source : Biomed Impact


- Taux d'actualisation : le risque associé au projet diminue après l’obtention de l’AMM

Un second paramètre important dans la valorisation d’un projet biotech est le taux retenu pour l’actualisation des cash-flow futurs. Ce taux est une combinaison du taux sans risque et d’une prime de risque associée à la société. La prime de risque peut varier en fonction du sentiment de marché pour le secteur biotech à l’instant t. Un ajustement est possible en fonction du risque inerrant à la société, et notamment sa visibilité financière. Sur ce point, au travers du partenariat avec Ipsen, Genfit devrait être en mesure de percevoir rapidement des flux de royalties en complément du paiement d’étape de 48 MEUR payé à l’obtention de l’AMM. Ceci devait justifier une révision à la baisse  de la prime de risque et donc une baisse du taux d’actualisation permettant au projet un gain de sa Valeur Nette Actualisée.

Une modélisation simple et prudente d’Elafibranor dans la PBC donnait une valeur d’Elafibranor avant AMM  proche de 220 MEUR (85% de probabilité de succès, pic de ventes à 500 MEUR en 2030, royalties comprises entre 15 et 20%, taux d’actualisation de 12%, pas de prise en  compte de possibles milestones commerciaux ni du déficit fiscal résultant des investissements R&D antérieurs).

Après obtention de l’AMM, en appliquant les nouveaux paramètres (100% de probabilité de succès et 11% de taux d’actualisation), la valeur du projet ressort à environ 275 MEUR. Le palier théorique de valeur franchi était donc proche de 55 MEUR. Rapporté à la capitalisation de Genfit la veille de l’annonce (245 MEUR), la hausse aurait dû être proche de +22% (scénario conservateur ne tenant pas compte du paiement d’étape de 48 MEUR).

Si le marché a réagi positivement à l’annonce, la hausse fut sensiblement inférieure à la valeur théorique explicitée plus haut (+12% vs +22% attendu). La suite de la séance n’a malheureusement pas permis de consolider le palier de valeur créé.


Pourquoi une telle réaction du marché ?


1.4 Un regard dans le rétroviseur aide à comprendre : Genfit a connu un rallye haussier en amont de l’AMM


Genfit n’est pas la seule société à voir sa capitalisation totalement décorrélée de la valeur intrinsèque des projets/produits. Cela fait plusieurs années que le marché européen n’apprécie pas les sociétés à leur juste valeur (ou considère que la prime de risque est bien plus élevée que celle appliquée dans les modèles des analystes). Cette situation est regrettable mais elle doit être bien ancrée dans l’esprit des investisseurs. Il ne faut donc pas attendre un alignement des cours avec les objectifs annoncés par les analystes basés sur la valeur des projets.

Le début de séance laissait espérer une tendance positive mais les flux vendeurs ont très vite pris le dessus. Si certains bâtissent leur stratégie d’investissement sur la vente à découvert de titres (positions dites « short »), ce type de flux ne peut-être le seul responsable des variations de l’intraday.

L’une des explications les plus rationnelles pour comprendre la contreperformance de Genfit ce 11/06 est la prise de bénéfices par de nombreux investisseurs qui avaient pris position sur la valeur en amont de cette annonce. En effet, l’historique du cours met en évidence un rallye haussier significatif les semaines précédant l’annonce. Le titre s’est en effet apprécié de près de +40% sur les 3 derniers mois et de +30% sur le dernier mois. La sécurisation de la plus-value a donc prévalu et les prises de bénéfices ont contré les acheteurs qui se positionnaient avec la perspective d’un scenario d’appréciation du titre et de comblement du gap existant entre le niveau actuel du cours et la valeur intrinsèque du projet.


Evolution du cours de Genfit sur 3 mois avant l'AMM et volumes échangés

Source : Euronext, Biomed Impact


D’autres sociétés ont-elles connu une telle "déception" boursière après l'obtention d’une AMM ?


2. Genfit n’est pas un cas isolé : « l’autopsie » de plusieurs annonces d’approbations montre que ce type de réaction boursière est fréquent, tant en France qu’à l’étranger


Il est évident que le palier de valeur (en MEUR) est à mettre en regard de la capitalisation boursière de la société. Une AMM ne peut induire d’impact fort sur le titre d'un "gros" laboratoire pharmaceutique (le projet est en effet « noyé » dans un pipeline souvent riche, la valeur du groupe réside dans son activité commerciale et dépend de la rentabilité délivrée trimestre après trimestre). A contrario, l’impact d’une AMM sera marqué sur le cours de sociétés pour lesquelles le projet représente une part importante de la capitalisation (voire majoritaire pour les sociétés « mono-produit »). Nous avons donc retenu dans notre échantillon des sociétés de petite et moyenne capitalisation dont le profil se rapproche de celui de Genfit.


2.1 Sociétés françaises (approbation en Europe ou par la FDA)


Nous avons identifié 7 produits issus de sociétés biotech françaises ayant obtenu une AMM entre 2020 et 2024. Le tableau ci-après résume le contexte de chacun des produits.


Approbations obtenues par des sociétés françaises

Source : Biomed Impact

Le graphe ci-après met en évidence l’existence (ou non) d’un rallye haussier sur une période de 3 mois en amont de l’annonce d’approbation ainsi que la performance maximale le jour de l’annonce de l’AMM (vert).


Performance du titre en amont et le jour de l'AMM

Source : Biomed Impact


Nous avons également souhaité savoir s’il existe un « syndrome français » et avons pris en compte dans nos comparaisons la performance de sociétés européennes ou américaines ayant obtenu récemment une AMM.


2.2 Sociétés européennes (approbation par la FDA)


Source : Biomed Impact

Performance du titre en amont et le jour de l'AMM

Source : Biomed Impact



2.3 Sociétés américaines (approbation par la FDA)


Source : Biomed Impact

Performance du titre en amont et le jour de l'AMM

Source : Biomed Impact



2.4 Principales conclusions


Si des règles absolues ne peuvent être tirées, de réelles tendances sont observées :


  • Un rallye haussier au cours de 3 derniers mois limite souvent l’envolée des titres en raison des prises de bénéfices (Genfit, BiolineRX, Santhera, Ligand Therapeutics).

 

  • En l’absence de rallye, le marché intègre la nouvelle et permet au titre de clôturer à un niveau sensiblement plus élevé que celui de la veille (Advicenne, Valneva pour son vaccin Covid, Argen’X, Pharming, Springworks).

 

  • Il n’existe pas de disparité géographique : le phénomène de vente à l’annonce est observé quelle que soit la zone géographique. Que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, les sociétés connaissent toute une sorte de « plafond de verre ».

 

  • Les titres ont rarement gagné plus de 30% en séance, observation qui converge avec notre modélisation de palier de valeur.

 

  • La taille du marché concerné par l’AMM impacte l’amplitude du palier de valeur et la possible revalorisation du titre (Poxel a faiblement réagi à l’approbation de Twemeeg au Japon).


Le cas de Sage Therapeutics est atypique : l’AMM obtenue pour la dépression post-partum a été occultée par un refus de la FDA pour un traitement en pédiatrie.


En résumé, nous identifions 3 cas de figure qui permettent de comprendre la réaction à l’annonce d’une AMM. Une baisse du titre en amont (cas non représenté ici) s’apparentera au Cas n°1. Dans ce cas, l’amplitude de la hausse sera néanmoins tributaire des raisons du repli préalable (macroéconomique ou défiance des investisseurs vis-à-vis de cette société).


Un rallye haussier en amont de l'AMM limitera la performance le jour de l'annonce


Source : Biomed Impact



3. Quels enseignements tirer en matière d’investissement ?


Il n’existe pas de martingale en bourse. Miser sur l’obtention d’une AMM peut représenter une belle opportunité de gain mais cette stratégie est associée à un risque très important. Le nombre de nouveaux produits approuvés reste faible (55 approbations accordées par la FDA en 2023) et la probabilité de refus n’est pas nulle. A titre d’exemple Medincell et Teva ont connu un premier refus (demande par la FDA d’informations complémentaires) avant d’obtenir, 12 mois plus tard, l’approbation d’Uzedy.


La valeur créée dépend du potentiel commercial sur la zone géographique pour laquelle l’AMM est délivrée (tarification plus ou moins élevée, environnement concurrentiel, capacité à pénétrer le marché, etc.). Un marché de niche, adressé avec des produits à forte valeur ajoutée sera plus créateur de valeur qu’un marché de masse encombré de nombreuses offres thérapeutiques ou de médicaments génériques (pression sur les prix).


Il est préférable de se positionner en amont de l’annonce et de trouver une fenêtre de liquidité pour sortir tout ou partie de la position. Cela permet de sécuriser les gains et de n’exposer à un possible refus qu’une partie du montant investi.


Il est important de s’assurer que la période de l’investissement ne soit pas perturbée par la possible publication d’une nouvelle « négative » (échec sur un autre produit du pipeline par exemple) ou qu’un concurrent n’annonce des résultats cliniques excellents remettant en question les perspectives de prise de part de marché par l’actif de la société ciblée.


Il faut rester attentif à la communication du management sur la stratégie de valorisation de l’actif. A titre d’exemple, la perspective de la signature d’un partenariat (ou d’un rachat) après l’obtention de l’AMM peut soutenir un flux acheteur. Il est important d’avoir la meilleure visibilité sur le calendrier de ce deal potentiel et de s’assurer que la trésorerie sera suffisante pour négocier sereinement des conditions favorables (milestones importants et taux de royalties élevées). A contrario, un produit déjà licencié ne génèrera aucune spéculation et la performance future sera directement liée à la publication trimestrielle des ventes réalisées (vitesse de pénétration, prise de parts de marché).


Il est probable qu’une société ayant décidé de commercialiser un produit de façon autonome fasse appel au marché pour renforcer sa trésorerie. Cette levée de fonds et la dilution associée (surtout pour les petites capitalisations) pourront neutraliser la performance durement gagnée suite à l’obtention de l’AMM.


Enfin, les marchés financiers sont très dépendants de facteurs exogènes. Nombreux sont les exemples de situations ayant eu un impact majeur sur les bourses mondiales : attentats, crises politiques, conflits, fluctuations des prix des matières premières, pandémie, etc. Ces évènements, plus ou moins prévisibles, peuvent bouleverser une stratégie d’investissement mais également générer de belles opportunités. Agilité et réactivité doivent donc rester de mise.





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